Friedrich Hölderlin
 
                        LA MIGRATION
Bienheureuse Suévie, ma mère,
Toi aussi, à la plus brillante, à la sœur
Lombardie de l’autre côté, semblable,
Par cent ruisseaux irriguée !
Et des arbres en suffisance, en blanche floraison et rougeâtres,
Et de plus obscurs, sauvages, pleins d’un feuillage au vert profond,
Et le massif des Alpes de la Suisse ombragent aussi
Ta voisine ; car proche du foyer des maisons
Habites-tu, et écoutes comment là-dedans
Hors des ciboires argentés
Bruit la source déversée
Par des mains pures, quand effleurée

Par les chauds rayons
La glace cristalline et renversées
Par le léger attouchement de la lumière
Les cimes neigeuses arrosent la terre
De l’eau la plus pure. C’est pourquoi t’est
Innée la fidélité. Dur de délaisser
Ce qui habite proche de l’origine, ce lieu.
Et tes filles, les villes,
Auprès du lac qu’on voit poindre tout au loin,
Aux pâturages du Neckar, près du Rhin,
Elles toutes le pensent, il n’était
Nulle part de meilleur endroit où habiter.

Je veux pourtant aller vers le Caucase !
Car, ai-je entendu dire
Encore aujourd’hui dans les brises :
Libres sont-ils comme les hirondelles, les poètes.
Mais c’est aussi, quelqu’un me l’a
Confié en mes jeunes années,
Qu’ils furent dans les temps anciens
Une fois, les ancêtres, la race allemande,
Tranquillement entraînés par les flots du Danube,
Aux jours d’été, comme ceux-ci
Se cherchaient un ombrage, ensemble
Avec les fils du soleil
Venus au bord de la Mer Noire ;
Et ce n’est pas en vain que celle-ci
Fut dite hospitalière.

Car, alors qu’ils s’étaient seulement considérés,
Là seulement s’approchèrent les autres ; puis vinrent s’asseoir aussi
Les nôtres, curieux, sous les oliviers.
Cependant, alors que s’effleuraient leurs vêtements,
Et que nul ne pouvait comprendre
Le propre langage de l’autre, se serait bien
Élevée une querelle, si du haut des branches
N’était venue la fraîcheur,
Le sourire, sur le visage
Des combattants, souvent élargi, et un moment
Levèrent-ils tranquillement les yeux, puis ils se tendirent
Des mains aimantes les uns aux autres. Et bientôt

Échangèrent-ils les armes et tous
Les chers biens de la maison,
Échangèrent aussi la parole et firent des vœux
Les pères bienveillants, non en vain,
Dans la joie des noces, pour les enfants.
Car de ces unions consacrées
Naquit, plus belle que tout
Ce qui avant et depuis
S’est donné le nom d’homme, une race ici. Où,
Où habitez-vous pourtant, chère parenté,
Que nous puissions reconduire l’alliance
Et songer aux aïeux bien-aimés ?

Là-bas sur les rivages, sous les arbres
De l’Ionie, dans les plaines du Kaïstre,
Où les grues, réjouies par l’azur,
Sont entourées par les monts que l’on voit poindre dans le lointain,
Là-bas fûtes-vous aussi, vous les plus beaux ! ou cultivant
Les Iles que couronnent les vignes,
Toutes sonores de chants ; d’autres encore habitèrent
Au Taygète, à l’Hymette tant vantée
Qui fleurit la dernière ; cependant,
De la source du Parnasse jusqu’aux ruisseaux
Rutilant d’or du Tmolos retentit
Une éternelle mélodie ; ainsi bruissent
Comme alors les forêts sacrées et toutes
Les lyres ensemble
Émues par la céleste douceur.

Ô pays d’Homère !
Sous le cerisier pourpre ou quand,
Apportées par toi dans les vignobles, pour moi
Verdissent les jeunes pêches,
Et que l’hirondelle vient de loin et en babillant
Contre mon mur bâtit son nid, dans
Les jours de mai, sous les étoiles aussi
Je songe, ô Ionie, à toi ! cependant les hommes
Aiment ce qui est le présent. C’est pourquoi suis-je
Revenu, ô les Iles, pour vous voir, et vous,
Ô embouchures des fleuves, ô vous palais de Thétis,
Ô forêts, vous, et vous, ô nuages de l’Ida !

Cependant je ne songe pas à demeurer.
Inamicale est-elle, et dure à gagner,
La Taciturne, celle que je quittai, la Mère.
Un de ses fils, le Rhin,
Par force voulut contre son cœur se précipiter, et disparut
Le Relégué, nul ne sait où, dans le lointain.
Cependant, je ne souhaite pas être parti ainsi
De chez elle, et seulement pour vous convier
Suis-je vers vous, ô Grâces du pays des Grecs,
Ô Filles du ciel, parti,
Afin, si le voyage n’est pas trop long,
Que vous veniez à nous, ô Favorables !

Si plus doucement soufflent les airs,
Et que les flèches amoureuses du matin
À nous trop patients sont destinées,
Et que de légers nuages fleurissent
Pour nous au-dessus des yeux timides,
Dirons-nous alors : comment êtes-vous venues,
Charités, chez les Barbares ?
Mais les servantes du ciel
Sont prodigieuses,
Comme tous ceux de naissance divine.
En un rêve se changent-elles, quelqu’un veut-il
S’insinuer et les saisir, qui
Veut leur ressembler par force ;
Souvent, ça en surprend un
Qui juste à peine y a songé.

 
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